Quand bien même ils sont parfaitement identifiés, largement étudiés et vigoureusement combattus, les stéréotypes de genre demeurent particulièrement ancrés dans la société française. Dans tous les domaines de la vie quotidienne, de très nombreuses tâches et pratiques restent assignées à un genre. Ainsi, la femme prépare les vacances et l’homme conduit la voiture. C’est elle qui à Noël décore la table et prépare le repas, lui qui choisit les alcools et ouvre les huîtres.
Comme en témoigne la vaste enquête* confiée à l’Ifop par Zenchef et l’agence spécialisée en data Flashs, la sortie au restaurant n’y échappe pas. Que l’on s’y rende pour un premier rendez-vous ou en couple établi, l’homme se révèle toujours plus décisionnaire que la femme quand il s’agit de réserver l’établissement, de régler l’addition ou encore de choisir le vin. Mais pas pour s’occuper des enfants…
Les plus de 1 500 Françaises et Français interrogés lors de cette étude ont également eu l’occasion de s’exprimer sur leurs choix (et non-choix) culinaires ainsi que sur certains comportements jugés déplacés lors d’un premier tête-à-tête. L’occasion de constater que si nombre d’entre nous sont d’abord dans le contrôle de l’image qu’ils renvoient, d’autres sont, téléphone portable à portée de main par exemple, bien moins policés.
Enfin, nous vous laissons découvrir en toute fin d’article le résultat sans appel - et genré lui aussi - du match viande contre poisson au restaurant…
L’addition se conjugue encore au masculin
La question divise au sein même des féministes. Pour celles qui s’y opposent, laisser l’homme payer l’addition lors d’un premier rendez-vous au restaurant revient à perpétuer l’époque où l’autonomie des femmes était plus que limitée et l’argent un puissant moyen de domination masculine. Pour celles qui y sont favorables, c’est une manière comme une autre de compenser les inégalités - salaires, retraites, charges domestiques… - qui persistent entre les genres.
Interrogés par l’Ifop, les Françaises et les Français estiment très majoritairement (65%) qu’il revient à l’homme de présenter sa carte bleue ou son chéquier à l’issue de ce premier repas. Plus ancrée chez les hommes (72%) que chez les femmes (59%), cette opinion varie très sensiblement selon l’âge et le genre des répondants. Ainsi, les jeunes femmes de moins de 24 ans sont les seules parmi l’ensemble du panel à être en désaccord (40% d’approbation au fait que l’homme doive payer) quand 6 garçons sur 10 du même âge y adhèrent tout de même. En revanche, il n’y a pas débat chez les seniors : 90% des hommes de plus de 65 ans considèrent que le règlement de l’addition est une obligation masculine.
Voilà pour la théorie. Mais qu’en est-il dans les faits ? Si 72% des hommes indiquent qu’ils règlent l’addition à l’occasion d’un premier diner au restaurant, ils sont nettement moins nombreux à le faire qu’il y a une dizaine d’années. En 2012 en effet, lors d’une précédente enquête de l’institut de sondage, la proportion était de 88%. Comme dans d’autres études sur les rapports femmes-hommes, les messieurs ont peut-être tendance à surestimer leur investissement puisque moins de la moitié des femmes (47%) disent pour leur part se laisser inviter en 2023 (contre 56% en 2012), et sont plus enclines à partager les frais (45% déclarent le faire contre 22% des hommes).
Partager ou esquiver la note
Toujours est-il que lorsque la facture arrive sur la table, il est des comportements qui peuvent étonner, voire choquer.
Inviter quelqu’un et lui demander finalement de partager les frais n’est certes pas une pratique courante, mais plus d’1 Français sur 5 (22%, en hausse de 5 points depuis 2012) l’a déjà fait, les femmes deux fois plus que les hommes (30% contre 14%) à avoir été dans ce cas, et également plus nombreuses à le faire aujourd’hui qu’auparavant (21% il y a 11 ans). Il y a aussi celles et ceux qui font semblant de vouloir payer l’addition alors qu’ils n’y comptaient pas… et prennent le risque que l’autre accepte ! Ils sont 16%, équitablement répartis entre les genres, à l’avoir tenté, soit le double des convives (8%) qui choisissent pour leur part de s’éclipser aux toilettes en espérant ainsi réaliser, de manière peu glorieuse, il est vrai, quelques économies.
Mais avant de penser à la note, il convient de choisir le lieu des agapes. En l’espèce, l’homme est celui à qui il revient de proposer et de réserver pour 6 Français sur 10 (65% pour les hommes, 56% pour les femmes). Là encore, les réponses varient fortement en fonction des générations : à peine la moitié (52%) des plus de 35 ans - et 43% des femmes dans cette tranche d’âge - sont de cet avis contre 80% chez les plus de 65 ans.
S’il semble donc plutôt acquis qu’il revient encore à l’homme de choisir le restaurant et d’en assumer le coût, est-il de bon ton que son invitée se fasse quelque peu attendre et désirer ? Non, répondent massivement les Françaises et les Français. Ils sont en effet 80% à en rejeter l’idée, et ce d’une manière très homogène quel que soit leur âge.
Le téléphone passe à table
Il est maintenant temps de passer au déroulement de ce premier rendez-vous, révélateur de comportements qui cadrent mal avec l’image que l’on peut rêver d’un tête-à-tête romantique.
Signe des temps, le téléphone portable y tient désormais un rôle central puisque plus de la moitié des Françaises et des Français (57%) ont déjà vu leur partenaire poser le sien sur la table, et près de 4 sur 10 (38%) consulter fréquemment ses mails, messages et autres notifications. Une pratique marquée du sceau de la jeunesse (54% des 18-24 ans en font état) et à connotation plus féminine que masculine (42% des hommes l’ont constaté contre 34% des femmes). Dans des proportions similaires, il est déjà arrivé à plus d’un tiers (36%) des personnes interrogées que l’autre réponde à un appel en plein repas en restant à table ou, pour 23%, qu’elle ou il s’absente pour engager une conversation téléphonique.
D’autres situations peuvent être génératrices de gêne, comme le fait de ne pas laisser de pourboire en dépit d’un service impeccable - près de la moitié (48%) des répondants en ont été témoins -, de se montrer très ou trop exigeant avec le personnel du restaurant (21% ont vu la personne avec laquelle ils partageaient leur repas se conduire ainsi) ou encore de négocier le montant de l’addition (14%). Des attitudes que les hommes disent globalement avoir plus souvent constaté chez leur convive féminine qu’inversement.
Image de soi et contrôle
À table, particulièrement lors d’un premier rendez-vous, l’image que l’on va donner de soi passe aussi par les choix que l’on opère dans le menu. Prêter attention au coût final lorsqu’on ne paye pas l’addition en fait partie : la moitié (50%) des Françaises et des Français indiquent ainsi avoir renoncé à un plat ou à un vin dans cette optique.
La volonté de se montrer sous son meilleur jour et de garder un certain contrôle est partagé de manière assez équitable entre femmes et hommes selon les différents items qui leur étaient proposés. Ainsi, 36% des femmes et des hommes ont veillé à ne pas commander des aliments susceptibles de créer un inconfort intestinal, et 27% ont craint que le choix d’un mets gras ou copieux soit perçu comme le signe d’un certain laisser-aller. Les hommes sont en revanche plus nombreux que les femmes (20% contre 12%) à avoir déjà joué les gourmets en mangeant un plat dont ils n’avaient pas forcément envie a priori.
Plus inquiétant, si les hommes disent avoir fait plus attention à leur consommation d’alcool en pensant à la suite de la soirée (42% contre 35% chez les femmes), la proportion d’entre eux en ayant commandé afin que leur partenaire soit plus désinhibée par la suite s’élève tout de même à 17% (contre 10% des femmes qui reconnaissent avoir fait de même).
L’homme reste à la manœuvre… sauf pour les enfants
Si le premier rendez-vous revêt une importance particulière, et peut qui sait aboutir à la construction d’une histoire commune, les couples formés continuent de fréquenter plus ou moins régulièrement les restaurants. Les stéréotypes de genre s’estompent-ils avec le temps ? Selon les opinions, ouvrir la porte à une femme et passer devant elle en entrant dans l’établissement relève soit d’un acte galant, soit de la survivance d’une pratique archaïque.
En la matière, les Françaises et les Français sont partagés, 54% considérant qu’il est normal d’agir ainsi, un avis auxquels adhèrent 53% des hommes et 54% des femmes. Quant au fait qu’il reviendrait à la gent masculine de systématiquement goûter le vin, à peine plus d’un tiers (36%) des personnes interrogées par l’IFOP en sont aujourd’hui convaincues, les deux sexes partageant harmonieusement cette opinion.
Concrètement, comment le montre le détail des réponses sur les pratiques des couples lorsqu’ils sont au restaurant, la gestion du vin reste effectivement l’apanage des hommes puisque seuls 9% des femmes indiquent le goûter ou le choisir contre respectivement 46% et 42% pour leurs conjoints. D’autres pratiques sont plus partagées, à l’exemple de la réservation - 51% disent le faire autant l’un que l’autre - et le fait d’orienter le choix du conjoint vers ses propres goûts, influence qu’exercent sur leur partenaire plus de 7 femmes et hommes sur 10.
En revanche, comme dans les autres aspects de la vie quotidienne (école, santé, activités périscolaires…), les femmes s’occupent le plus souvent des enfants lorsqu’ils accompagnent le couple au restaurant : 41% disent le faire seules, 54% autant que leur conjoint et 3% que c’est leur conjoint qui s’en charge principalement. À nouveau, les hommes semblent survaloriser leur implication puisqu’ils sont 67% à estimer qu’il s’agit là d’une tâche partagée dans le couple, 20% à reconnaitre que leur partenaire assume l’alimentation et les activités des enfants, et 10% qui assurent que cette tâche leur revient le plus souvent.
Viande ou poisson ? Viande !
Enfin, pour conclure cette étude, l’Ifop a questionné les Françaises et les Français sur le choix qu’ils ont fait entre la viande et le poisson la dernière fois qu’ils sont allés au restaurant.
Un match que remporte largement la viande (63% en ont mangé) face au poisson qui a séduit moins d’1 répondant sur 3 (29%). Sans grande surprise au regard de nombreuses études sociologiques menées sur la question, au regard également de l’attention accrue portée par les femmes à leur santé, les hommes sont plus nombreux qu’elles (69% contre 56%) à avoir commandé un plat à base de viande. Mais ce qui est vrai d’une manière générale ne l’est pas pour les plus jeunes, auxquels le poisson servi à la cantine a peut-être laissé de mauvais souvenirs : 78% des Françaises âgées de 18 à 34 ans disent avoir mangé de la viande lors de leur dernière sortie au restaurant, soit davantage que les Français de la même génération (72%).
Étude Ifop pour Zenchef réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 5 au 9 mai 2023 auprès d’un échantillon de 1 525 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
Mise à jour : 18/01/2024